Wikipédia, un mythe dangereux

Voici une analyse d’Ann LEDOUX sur Wikipédia, publiée sur son blog en 2007. Ne trouvant aucun moyen de la contacter et constatant que son blog est en pause depuis 2009 nous republions son excellent article car nous pensons qu’elle y serait favorable. Dans le cas contraire nous le retirerons en lui présentant nos excuses.


Wikipédia, un mythe dangereux.

Pour toutes les questions de la terre, ce sont très souvent les liens à Wikipedia qui sortent en premier, en second et toujours au moins dans la première page du sacro-saint Google. Wikipedia occupe actuellement, le 6° rang mondial des pages consultées via Google. En ce sens Wikipedia semble être devenue une référence, par le nombre. Mais qu’en est-il de sa qualité ? Qu’en est-il puisqu’elle se présente comme une « encyclopédie » susceptible de couvrir tous les domaines du savoir, et qui s’enorgueillit de ce que le nombre de ses articles ne cesse de s’étendre ? (450.000 en français, 1,5 million en anglais)

Wikipedia se présente elle-même, en effet, non pas comme un exercice ludique (bien que souvent elle ressemble à un jeu de rôles multijoueurs en ligne) ou un pari participatif à grande échelle, mais comme une « encyclopédie ». Elle sert de référence aux écoliers, aux étudiants et a de plus en plus la faveur des médias.

Projet d’une encyclopédie finissant par rassembler tout le savoir, grâce, non pas aux spécialistes, savants, experts et connaisseurs des domaines sur lesquels ils écrivent, mais grâce au grand nombre, à la multitude indistincte des non-qualifiés. La qualité manquante des uns sera remplacée par la quantité des autres, c’est le pari de Wikipedia. Nul n’est auteur. Tout le monde écrit. Tout le monde est anonyme ou presque, c’est même une recommandation d’adopter un pseudo éloigné de son identité réelle. Tout le monde peut rajouter sa petite pierre, et selon une hypothèse hautement optimiste, ou plutôt fantaisiste, par ces efforts conjugués selon une logique simplement cumulative, nous obtiendrions enfin, la somme du savoir.

Comment rêver obtenir l’ensemble du savoir en rassemblant le grand nombre des vrais ignorants et des demi-savants, aux connaissances plus ou moins approximatives, par simple addition, et sans synthèse.

Les auteurs ne sont aucunement reliés entre eux par une vue d’ensemble pensée par des concepteurs d’un projet, ou par une conception générale avec établissement de découpage des domaines du savoir comprenant les repères par des catégories internes établies préalablement à la rédaction des articles dont la liste aurait été recensée, ni non plus les auteurs ne sont-ils tenus de respecter quelque plan général pour une encylopédie avec thèmes établissant des cadres, répertoires des disciplines et de composition des articles qui doivent s’y ranger -de + les articles eux-mêmes n’obéissant à aucun critère de quantité ; de la sorte, leur importance sur Wikipedia est souvent inversement proportionnelle à l’importance du sujet.

Les participants n’ont d’autre titre et qualité que de s’activer sur Wikipedia à la constitution de laquelle ils participent (tautologie… et manière de souligner que Wikipedia est un système fermé qui tourne en rond). Comment est-il possible de fabriquer ainsi un objet digne de correspondre à sa prétention, soit une somme du savoir ? Est-il possible à ces conditions, de concevoir une encyclopédie à partir du modèle de la simple addition, et plus particulièrement, de l’addition d’opinions disparates ? Cela a-t-il seulement un sens ? L’addition des ignorants sans aucune contrainte de rédaction, sans obligation de décliner ses qualités ni faire preuve de compétence, sans obligation de devoir respecter les critères de scientificité et de diffusion du savoir, serait-elle donc, – on se demande par quel effet de magie – susceptible de produire un ensemble relevant du savoir.

Nulle vérité établie n’est contraignante : la question de la vérité est exclue, considérée comme une convention non wikipedienne qui pour sa part, ne se soumet à aucune autorité hormis la sienne propre, et qui, explicitement a pour principe de ne pas rechercher la vérité, mais des compromis entre opinions. Ce qui est appelé « neutralité » dans le jargon wikipedien. Ainsi va la liberté wikipedienne: c’est Wikipedia qui fait autorité et rien ne fait autorité pour Wikipedia. Surtout pas les sciences et les savoirs constitués. Wikipedia a l’ambition d’écrire, non seulement, une encyclopédie universelle, mais de reprendre à zéro tout le savoir, pour le reformuler à sa manière et même le réinventer , en le reconstruisant par bribes, à plusieurs, comme cela convient au grand nombre –ou aux activistes présents sur certains thèmes qui imposent leur point de vue, même caricatural, au regard de la science, du droit, des valeurs établies de la politique et de la culture. Le relativisme est le seul credo de Wikipedia.

Projet ultra-libéral aux apparences et à l’idéologie libertaires, dont le mot d’ordre est : réinvention de toutes les règles, en tout et sur tout. Wikipedia c’est le développement d’une sous-culture pour les masses, où triomphent les défauts des autodidactes reflets de l’opinion. Ainsi grâce à Wikipedia les masses demeureront dans une sous-culture, séparées définitivement de la culture et des élites, à l’heure où l’école ne parvient plus à transmettre correctement le savoir et la culture à une partie de la jeunesse. Ce magma d’informations empilées, laisse inévitablement prise à toutes les propagandes et inflexions idéologiques peu claires, voire peu recommandables.

Nous allons tenter de rassembler des pistes d’analyse critique de cet engouement pour Wikipédia.

Ann LEDOUX, Ann’s Blog, 17/01/2007

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